Dans les années 80
La moitié des enfants accueillis à la Flèche le sont à la demande des parents. Ces derniers ont donc tout pouvoir de venir voir leurs enfants, de venir les chercher et les ramener à leur guise. Les autres enfants sont confiés par des mandants hantés par la peur de la rupture du lien entre l’enfant et sa famille. Les portes de l’institution sont dès lors toujours ouvertes aux parents, et ce quand ils le souhaitent. Les parents prennent place dans les salles tous ensemble. Ils ont la possibilité de fumer, de regarder la télé, les professionnels osent à peine y rentrer et encore moins interférer dans ce qui s’y passe. Rien n’est pensé en termes d’accompagnement et aucun intervenant n’est préposé à cette tâche.
Fin des années 90
Un travail de réflexion débute sur la prise en charge des tout-petits et l’impact de la séparation sur leur développement. Une collaboration débute avec une association externe qui propose un accompagnement durant les visites. Il s’agit d’un début de travail mais d’une maigre avancée. Le parent peut décider de venir lors des visites médiatisées ou pas, les visites sont collectives et ce qui importe principalement est que le parent se sente bien. Le personnel de la Flèche est prié de rester en dehors des salles de visite. Nous ne savons toujours rien dire de la relation entre les enfants et les parents. La seule chose dont nous pouvons rendre compte est l’assiduité des familles et cet élément est presque le seul sur lequel nous nous basons pour faire des projets pour les enfants.
Dans les années 2000
Nous constatons les effets néfastes de cette ouverture de la Maison aux parents, ce qui nous pousse à questionner nos pratiques. Sans le vouloir, nous confrontons les enfants à des expériences négatives et nous entretenons des rapports tendus avec les parents. De ce travail de réflexion nait l’Espace Familles en 2005. Au départ, il est destiné à la Maison des Petits et la Pouponnière uniquement. Ces services vont engager 2 personnes à mi-temps pour accompagner les visites. Les jours et les heures sont fixes et les visites sont toujours collectives. L’objectif est de permettre que la rencontre enfant-parent soit satisfaisante et que les enfants et le personnel ne soient pas à la merci des parents. C’est une belle avancée mais les intervenants de l’Espace Familles passent beaucoup de temps à gérer les adultes (disputes, agressivité) ou à animer les rencontres.
Depuis 2015
L’Estacade rejoint l’Espace Familles en 2015. Il s’agit alors d’un Espace Familles « Flèche » pour l’ensemble des services. Le fait que les visites soient fixées à l’avance et encadrées par du personnel formé et dédié à cette mission est une belle avancée mais le modèle collectif et généraliste ne convient pas. L’accompagnement des contacts familiaux ne peut pas être une pièce rapportée mais doit faire partie intégrante de notre projet de prise en charge globale de l’enfant. Le projet Espace Familles va alors encore évoluer. Il va rester un projet « Flèche » mais la gestion sera organisée par service. Par ailleurs, les visites seront toujours planifiées à l’avance mais elles seront à présent individuelles.
L’Espace Familles aujourd’hui…
Toutes les visites sont individuelles, médiatisées et planifiées à l’avance. La fréquence et la durée des visites varient en fonction des situations et des besoins, mais en général les visites sont hebdomadaires et durent 45-60 minutes.
Les objectifs de l’Espace Familles dans son mode de fonctionnement actuel sont les suivants :
– Soutenir le parent dans sa fonction parentale et dans la rencontre avec son enfant.
– Permettre aux parents de se découvrir comme parents avec leurs ressources et leurs limites.
– Donner l’occasion aux parents de se sentir reconnus comme parents en devenant des partenaires actifs dans le projet éducatif de leur enfant.
– Apporter suffisamment de protection, de sécurité et de continuité à l’enfant.
– Permettre des observations précises afin de permettre aux mandants de pouvoir prendre les décisions en terme de projet pour l’enfant.
– Soutenir l’enfant dans la rencontre de son parent réel.
Bien que cela demande une organisation intense et une réflexion constante, nous constatons les effets bénéfiques de ce fonctionnement. Comme les parents se sentent attendus, une plus grande régularité s’est installée. Comme ils se sentent respectés et que le cadre est clair, nous ne sommes plus (ou presque plus) confrontés à la violence. Les enfants ne sont plus dans l’attente de leur rencontre car elle est anticipée. Si le parent ne vient pas, nous prenons le temps nécessaire pour accompagner l’enfant. Comme les visites sont médiatisées, nous sommes aujourd’hui plus légitimes pour noter les compétences et les difficultés des parents et nous sommes aussi plus à même de voir les effets, néfastes ou positifs, de la rencontre sur l’enfant.
L’Espace Familles a évolué et continuera à évoluer dans l’objectif de répondre au mieux aux besoins des enfants qui nous sont confiés et d’assurer leur bien-être. Aujourd’hui, la réflexion porte sur comment préserver les droits des parents à exercer leur fonction parentale sans dénier la réalité du placement et sa nécessité dans l’intérêt même de l’enfant ?
Travailler avec les familles n’est pas un choix. L’enfant fait partie de sa famille, il doit pouvoir la connaître, la reconnaître. Nous défendons que la prise en charge des enfants en institution ne peut se faire sans un accompagnement de leur famille. Néanmoins, nous sommes persuadés que notre travail est de préserver l’enfant des effets néfastes d’une parentalité inadéquate. Pour cela, le cadre doit être suffisamment protecteur et sécurisé. C’est pourquoi, il nous semble indispensable de garantir la viabilité de notre projet Espace Familles. Aujourd’hui, il n’y a pas de subside spécifique prévu pour les intervenants de l’Espace Familles. Ils sont repris dans les normes d’encadrement ou payés sur fonds propres. Il est clair qu’avec plus de moyens, plus de visites pourraient avoir lieu et les conditions pourraient être encore améliorées. Un travail au niveau du secteur est en cours à ce sujet. Affaire à suivre…