Témoignage

Rencontre avec Gaëlle George qui a vécu une dizaine d’années à la Flèche. Aujourd’hui, elle habite à Namur, elle est prof et photographe. Nous l’avons rencontrée à l’occasion du vernissage de son expo à l’Académie des Beaux-Arts de Namur.

Quand as-tu vécu à la Flèche?

J’ai d’abord vécu en famille d’accueil puis je suis arrivée à la Flèche quand j’avais 2 ans et demi. J’ai quitté vers 12 ans pour aller dans une autre institution car à l’époque la Flèche n’accueillait les enfants que jusque 12 ans. Pendant toute cette période, j’ai toujours gardé des contacts avec mes parents biologiques. Ils avaient un droit de visite et je pouvais même parfois retourner chez mon père le WE. Cela a été très difficile pour moi dans la nouvelle institution et j’ai donc demandé à ma famille d’accueil, avec qui j’étais restée en contact, pour retourner vivre chez eux. Je suis restée chez eux de mes 13 ans à mes 18 ans. J’étais très difficile à gérer pour eux. J’étais ado et j’étais en colère contre la terre entière. Vers 18 ans, j’ai pris mon indépendance, mais vers 20 ans je me suis retournée vers ma famille d’accueil et ils m’ont réaccueillie. Sans eux, j’aurais peut-être été à la rue.

1994, Train pour Rendeux

Que retiens-tu de cette période de ta vie où tu as vécu à la Flèche?

Ce n’est pas facile d’être éloigné de ses parents. C’est révoltant et ce n’est que des années plus tard, quand tu es vraiment posé dans ta vie et plus dans l’urgence de trouver une situation stable que tu peux te rendre compte du bénéfice que cela a été pour toi d’avoir été bien entouré.

Tant qu’on vit en institution, c’est difficile de s’en rendre compte mais maintenant avec le recul, je me rends compte que cela a été une chance pour moi d’être éloignée de certains environnements qui étaient réellement néfastes.

Je garde aussi de nombreux souvenirs joyeux de cette période. Il y avait énormément d’activités organisées pendant les vacances et les soirées. On faisait des activités pédagogiques et culturelles à l’extérieur. On faisait aussi beaucoup de bricolages et d’activités manuelles et artistiques. Cela m’a apporté un enrichissement que je n’aurais jamais pu avoir si j’étais restée chez mes parents. Je pense que cela a éveillé en moi mon côté artistique. Je me rappelle aussi de nos camps d’été dans les Ardennes et à la mer. C’étaient des moments uniques, forts. On se disputait parfois avec d’autres enfants, on était parfois jaloux les uns des autres mais dans les moments durs, on était là pour s’épauler. Il y avait beaucoup de fêtes aussi.

1994, Manège de Seneffe

Aujourd’hui tu es professeur d’arts plastiques et photographe, parle-nous de cette « passion-profession »?

Je suis prof depuis un an seulement. Par contre, la photo, c’est ma passion depuis des années. La photo m’a sauvée.

A 20 ans, mon père s’est suicidé. Cela a été un réel coup de massue pour moi. A ce moment-là, j’ai décidé de faire ce que j’aimais dans la vie.

Dès que j’avais eu mon CESS, j’avais commencé à travailler. Je voulais être autonome et indépendante le plus vite possible. J’avais fait une filière technique en secrétariat et marketing et j’avais trouvé un boulot dans un magasin de vêtements. J’avais mon logement et je me débrouillais. J’étais très volontaire donc j’étais passée rapidement responsable des vendeuses puis assistante de direction. J’avais obtenu un CDI mais j’ai alors réalisé que je ne voulais pas faire cela toute ma vie. J’ai donc donné ma démission et je suis retournée vivre dans ma famille d’accueil pendant quelques mois.

Je me suis consacrée à la photo jusqu’en 2020 quand il y a eu le confinement. Cela m’a permis d’exprimer ce que j’avais à dire. Mettre des mots sur mes émotions, c’était très compliqué pour moi. Je n’avais pas les mots. J’avais à l’époque entamé un travail psy et ma psy m’a aidée à comprendre tout ce qui m’était arrivé et à mettre des mots sur ce que je ressentais. Je n’avais plus envie de travailler dans un boulot qui ne faisait pas sens à mes yeux. Je voulais faire de la photo.

En 2020, j’ai repris des études et fait un bachelier pour devenir prof d’arts plastiques. Depuis un an, je suis prof et je fais de la photo. C’est le seul moyen pour moi de m’exprimer.  C’est pour moi le meilleur moyen de vivre face au monde, cachée derrière mon appareil photo.

Qu’avez-vous envie d’exprimer ou de transmettre via vos photos? 

Beaucoup de propos personnels. « J’écris » mes images. J’y mets qui je suis. Les thèmes qui reviennent dans mes images sont l’emprisonnement et la solitude. Il y a beaucoup d’images urbaines. On me dit qu’on y voit beaucoup de fragilité mais beaucoup de force aussi et que plus les années passent, plus il y a de douceur dans mes photos, parfois même un peu de poésie. C’est toujours difficile de parler de mon travail parce que c’est un peu parler de moi. Ce que je vous livre ici, c’est ce que les gens me disent quand ils découvrent mon travail.

Qu’avez-vous envie d’exprimer ou de transmettre à vos élèves? 

C’est ma première année donc c’est une question difficile. Je dirais que je souhaite leur enseigner la notion de responsabilité. Je voudrais leur dire qu’ils doivent faire un choix et l’assumer.

Je pense que je suis ce genre de profs qui estiment que les enfants ont déjà toutes les compétences en eux et qu’on doit juste les aider à les faire « émerger ». Je veux qu’ils fassent des erreurs. C’est primordial car c’est comme cela qu’ils vont expérimenter et apprendre.

Parle-moi de ton exposition…

J’ai réalisé une première série d’images en 2014. La Directrice de la Flèche à ce moment-là était la même que quand j’y vivais. Elle m’a donc donné carte blanche. Mon projet était une réponse à un appel à projets d’une ASBL du quartier (ABSL Bravo). J’ai fait des clichés des lieux de vie qui ont marqué mon enfance et celle de nombreux autres enfants.

Crédits Photo © : Gaëlle George

Ensuite, j’ai également exposé ce travail dans le cadre du festival d’art « Chambre avec vues » à Namur.

Certaines réactions m’ont fortement interpellée.

« Cela ne se voit pas que tu viens d’une institution. »

« Cela ne ressemble pas à un orphelinat comme je me l’imaginais. »

« Est-ce qu’on met encore les enfants dans le placard ?»

J’ai réalisé à quel point il était important de parler aussi de tous les aspects positifs du secteur. Cela sauve des vies. On est protégés. On est accompagnés. Il y a beaucoup de moments de joie aussi. En 2018, j’ai réalisé une seconde série d’images. L’objectif était d’immortaliser le bâtiment avant les travaux, de garder une trace.

Quels sont vos projets pour le futur ?

J’aimerais continuer à mettre en lumière ce secteur trop méconnu. Quand on quitte l’institution, on reçoit un album photo avec plein de souvenirs des moments qu’on y a passés. J’ai pour projet de contacter d’autres anciens et de leur demander de pouvoir numériser certaines photos de leur album photo. J’aimerais réaliser une série qui évoque les moments de joie : les anniversaires, les fêtes de Noël, … Parce qu’il y avait toutes ces facettes à la Flèche : la joie et la souffrance. Beaucoup de joie et beaucoup de souffrance. Les deux avec la même force.

En découvrir plus sur Gaëlle et son travail :

Exposition au RWLP, Rue Marie-Henriette 12, 5000 Namur (près de la gare) du 17/10 au 16/11/24  de 10-16h. Vernissage le 17/10.

Site internet: https://gaellegeorge.wixsite.com/photographe

Facebook : https://www.facebook.com/gaellegeorgephotographe

Instagram : https://www.instagram.com/gaellegeorge

Nous avons rencontré Gaëlle une seconde fois, quelques mois après son premier témoignage. Une rencontre filmée cette fois. À découvrir par ici.

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